On connait la musique...

Violonistes, guitaristes, contrebassistes, violoncellistes, mandolinistes... tous les joueurs d'instruments à cordes doivent constamment accorder leur instrument. Ils ne savent probablement pas que ce geste indispensable avant toute exécution musicale - ajuster la tension des cordes à vide pour obtenir leurs notes de référence – fut déterminant pour l'émergence d'un des courants spirituels les plus importants de l'humanité.

Environ un demi-millénaire avant notre ère, Siddhārtha Gautama ou Le Bouddha, est le jeune Prince d'une cité népalaise. Dans l'enceinte du palais familial, il jouit d'une vie luxueuse, facile et pleine de plaisirs. Lors d'une promenade à l'extérieur de son cocon privilégié, confronté à un vieillard, un malade, un mourant, il prend conscience de la souffrance de son peuple. Il décide alors d'abandonner sa vie de nanti et se donne pour mission de trouver une solution à la souffrance humaine. Le garçon a au moins le mérite d'être courageux et ambitieux...

Il part sur les routes et adopte un mode de vie fait de méditation, de renonciation et d'ascétisme extrêmement rigoureux. Mais cette démarche le mène à l'épuisement, au seuil de la mort, et la compréhension du monde lui échappe toujours. C'est l'impasse.

C'est là qu'intervient le point capital qui nous intéresse.

Alors que Bouddha médite au bord d'une rivière, sur une barque passent un prof de musique et son élève. (Temps bénis, j'aurais tant aimé faire cours ainsi sur la Saône ou sur le Lac de Miribel !) Le vieux maître enseigne le luth et apprend à son élève à accorder son instrument. Il lui dit notamment : « Si tu tends trop la corde elle casse. Si tu ne la tends pas assez elle ne sonne pas. »

Bouddha entend ces paroles et c'est pour lui la révélation ! Il réalise qu'après avoir abusé des plaisirs matériels et sensuels lorsqu'il était Prince et s'être ensuite fourvoyé dans un ascétisme extrémiste, ni l'une ou l'autre de ces voies n'était viable, à l'image de la corde trop ou pas assez tendue. La véritable harmonie, c'est « La Voie du Milieu » consistant à éviter les extrêmes. Ce sera le fondement de l'enseignement Bouddhique.

Et tout ça grâce à un prof de musique, cela n'est pas pour me déplaire...

Lecteurs assidus de mes précédents articles, ce qui est relaté ci-dessus vous évoque probablement Apollon et sa Lyre, instrument d'harmonie et de concorde. Nous avons vu que les mythes grecs antiques présentaient l'instrument à cordes (donc accordé) comme un symbole de paix, d'unité, d'ordre et de mesure.

Les Dieux de l'Olympe punissaient l'hubris (la démesure, l'arrogance, l'excès) des hommes et sur le Temple d'Apollon est gravé « Rien de Trop », en écho au «  Une corde trop tendue casse, une corde pas assez tendue ne sonne pas" de Bouddha.

Une approche métaphorique similaire de la musique et des instruments transparait donc dans la mythologie grecque et la spiritualité bouddhique. Qu'en serait-il sur ce point dans les trois monothéismes issus de la Bible ?

(A suivre... On peut essayer d'explorer le sujet.) 

Au delà d'une adhésion à ou d'un rejet de toutes ces tentatives de donner un sens à notre humanité et à l'univers, on ne peut qu'acter le fait que ces philosophies et ces religions ont forgé les modes de pensée et l'organisation de nos civilisations. Tenter de comprendre quelle place, quelle influence, quelle considération a la musique dans ces constructions imaginaires peut nous éclairer sur leur nature et leur pertinence.

Pour certains d'entre vous qui se sont inquiétés, sachez que je n'ai pas endossé la robe safran du moine bouddhiste, je ne suis pas reclus dans un monastère zen, je ne vais pas à la messe du dimanche, je ne prosterne pas sur les marches du Temple d'Apollon, et en ce moment l'album « Amour Anarchie » du grand Léo Ferré est au top de ma playlist. Rassurés ?