On connait la musique...

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Désapprendre son instrument

Désapprendre son instrument s'avère souvent judicieux pour mieux jouer. Voilà qui est bien paradoxal. Alors que je m'échine au quotidien à vous faire répéter vos gammes et vos arpèges, à corriger vos postures, à contraindre vos doigts à de rigoureux réflexes, à vous faire travailler souplesse, rapidité et précision des gestes, voilà que j'affirme qu'il faudrait, tout compte fait, tirer un trait sur ces innombrables heures de travail austères et ahanantes.

Je vous devine tout épave à la lecture de ces lignes, mais n'allez pas trop hâtivement jeter votre instrument par la fenêtre et vous avec, mon propos est bien évidemment plus nuancé que son titre racoleur. Alors refermez votre robinet de gaz, défaites le noeud coulant de votre corde attachée au plafond, et continuons.

 

Oui, un travail acharné sur l'instrument ne fera pas de vous forcément un meilleur musicien ! Certes l'acquisition et la maitrise des outils techniques, des gammes, des arpèges et accords demeure un atout. Mais, pour en faire quoi ? C'est cette question qui marque le seuil entre gymnastique technique et musicalité.

Trop cristalliser son travail sur la technique instrumentale vous aliène à des préoccupations centrées sur la performance physique (vitesse, automatismes...) qui font souvent oublier la finalité de la musique : produire de l'émotion.

 

Une difficulté d'oreille ou un problème de placement rythmique ne se résout pas, le plus souvent, avec l'instrument en main. Ces écueils rencontrés fréquemment par tout apprenti musicien trouvent leur origine au niveau d'une carence de sensation. Il est donc inutile de mobiliser son cerveau sur l'aspect technique purement moteur, gymnastique, il faut travailler sur l'origine sensorielle des difficultés rencontrées.

 

Comment ? Principalement par l'écoute attentive, le chant et la danse, ces approches hors instrument qui permettent d'affiner les sensations, de faire corps avec la musique pour la comprendre intuitivement et l'intégrer physiquement.

J'ai déjà évoqué l'importance d'une écoute active dans un précédent article («  Bien entendu »), que vous ne manquerez pas de relire.

Complétez votre écoute par une expression corporelle, quelle qu'elle soit : tapez l'after-beat de la caisse claire dans vos mains, ou bien laissez-vous aller à une danse improvisée (l'ingestion préalable d'un p'tit blanc pourra vous aider...), ou bien mimez le jeu des instrumentistes, etc.

Dans la même démarche, chantez le thème principal, d'abord avec l'enregistrement, puis par cœur et sans support. Essayez aussi de chanter les parties d'accompagnement.

Enfin, combinez chant et expression corporelle.

Donc, pour apprendre un morceau, en préalable, écoutez-en plusieurs versions, mémorisez-le, chantez et dansez dessus. Ensuite seulement, attelez-vous à son exécution sur l'instrument : tout le travail sensoriel et cognitif est préalablement fait, et dès lors il sera légitime de ne mobiliser que les outils techniques. La technique n'est justifiable que si elle se porte au service de la musicalité, de l'expression, de l'émotion.

 

Délaisser l'apprentissage de son instrument quelque temps pour en pratiquer d'autres est aussi une entreprise très enrichissante. Ceci permet d'affuter sa sensibilité et d'élargir sa compréhension de la construction musicale.

Tout pratiquant d'un instrument monophonique qui s'essaye à la guitare ou au piano pourra mieux appréhender la conduite du tissu harmonique en jouant les grilles d'accords. Un instrumentiste à cordes qui apprend un instrument à vent abordera différemment la problématique du phrasé à travers la gestion du souffle. Tout mélodiste qui pratique la batterie aura une meilleure compréhension du tissu rythmique et son discours s'en trouvera plus affirmé. Bref, toute infidélité faite à notre instrument attitré nous rendra meilleur musicien. (n'extrapolez pas si vite, je vous vois venir...)

 

Enfin, désapprendre son instrument est la tentative de retrouver la magie de « la première fois ». Souvenez-vous, lorsque vous avez manipulé pour la première fois un instrument, cet émerveillement du son émis, cette jouissance à le produire, cette sensation d'être le créateur d'un phénomène unique, d'être un Dieu et que tout un univers à créer est à portée de main.

J'ai constaté que lorsque je n'ai pas joué depuis un certain temps et que je reprends l'instrument, je retrouve parfois cette exaltante promesse de plaisirs et mon jeu s'en trouve magnifié malgré les carences techniques dues à l'absence de pratique.

Miles Davis avait bien compris cette nécessité de spontanéité et de « primavérisme » et les dangers de la sur-technique instrumentale et de l'habileté sans âme. Lorsqu'il embauche le jeune guitariste Mike Stern en 1981 pour son retour jazz-fusion sur la scène internationale, il lui ordonne : « Joue comme si tu n'avais jamais appris à jouer de la guitare ! ». Résultat, je vous laisse juge :We want Miles

 



03/04/2019
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