On connait la musique...

On connait la musique...

Chiche ! (2)

Steve et Kevin sont, respectivement, chargé de com' et directeur artistique dans une boite de prod' musicale actuellement très en vue. Nous avons surpris l'une de leurs conversations :

 

  • Il est bon, ce brunch. T'as pas faim ?

  • Tais-toi, j'suis out. Hier j'ai crashé mon auto-tune juste après avoir enregistré un gimmick bien groovy.

  • T'avais updaté ta version ?

  • Non, sorry !

  • Alors c'est reset total...

  • Ouais, la lose, mec !

  • Au fait, tu viens demain à l'after du boss sur le roof-top du building de la boite ?

  • Oh, non, j'ai too much sur ma to-do-list

  • Allez, sors un peu de ton open space, t'es no-life, là !

  • T'inquiètes, j'suis pas en burn out. On fête quoi ?

  • Le teaser de l'album d'Hippolyte Baudet, une compil hard-core de branles et de bourrées du bas berry, à la vielle à roue électro.

  • Ah ouais, super set list !

  • Y'a pas à dire, mais les roots, la culture trad, c'est vraiment pas has-been.

  • Ouais, respect, man !

 

 

Les anglicismes parasitent notre langue. Le métissage, qu'il soit linguistique, artistique, génétique, est plutôt un facteur réjouissant d'ouverture, de dynamisme, de créativité et de bonne santé. On peut cependant regretter une certaine forme d'hégémonie de l'anglais dans ces apports de nouveaux mots, ainsi que l'émergence d'un jargon amphigourique porté par une pseudo-intelligentsia « moderne »

 

 

Ceci est loin d'être une particularité de ce début de XXIème siècle. En 1962, Léo Ferré sortait cette chanson, une pépite que je souhaitais vous faire découvrir. Un texte plein d'humour et incisif, mis en valeur par un arrangement jazzy remarquable. Ecoutez :

https://youtu.be/yi2vewYPQ2Y

(vous retrouverez les paroles des chansons en bas de cet article)

 

 

Ceux qui souhaitent explorer le regard caustique que Léo Ferré portait sur ses semblables et sur la société, peuvent également écouter le délicieux « T'es rock, coco ». Il s'agit d'une diatribe à l'intention de ceux que l'on appellerait aujourd'hui des « branchés », bref, des snobs, des outrecuidants, des pédants friands des dernières polémiques stériles à la mode, asservis par la culture fast-fashion, ne jurant que par ce qui est nouveau.

Le texte, qui s'attaque également aux dérives de la société contemporaine, est d'une étonnante fulgurance poétique. Quant à la musique, écoutez attentivement ce petit motif récurrent de flute traversière (à partir du deuxième couplet) qui vient instiller continuellement de la moquerie et un certain malaise du à son caractère atonal, tandis que toute l'architecture musicale est portée par un ostinato immuable à la basse, au caractère borné et égocentrique.

https://youtu.be/dibJ2vWEhpg

 

 

Cette chanson fait écho à celle de Boris Vian, écrite quelques années auparavant, en 1954, « J'suis snob » : https://youtu.be/yFdYZQmQtcs

Et si l'on remonte encore ainsi quelques décennies, quelques siècles en amont, nous pouvons retrouver le même esprit dans Les caractères de La Bruyère ou les Fables de La Fontaine.

 

 

Ces auteurs qui nous tendent un miroir lucide reflétant nos travers, nos faiblesses, nos vanités, sont parmi les vigies salutaires que nous évoquions dans le précédent article.

Ce miroir là, qui n'est pas des plus agréables, est à l'opposé des miroirs de nos portables lorsque nous nous « selfions » avec auto-satisfaction.

 

 

Je vous entends déjà me brocarder et m'accuser d'être un vieux réactionnaire, un nostalgique cacochyme.

Mais ne vous moquez pas si vite de mes propos surannés et de mes références désuètes. Car, aujourd'hui, écouter Léo Ferré ou lire La Fontaine est au top des tendances actuelles, une attitude hyper hype, le must, trop cool, quoi !

Non ?

Chiche !

 

 

 

LA LANGUE FRANCAISE (Léo Ferré)

 

C'est une barmaid 

Qu'est ma darling 

Mais in the bed 

C'est mon travelling 

Mon best-seller 

Et mon planning 

C'est mon starter 

After shaving 

J'suis son parking 

Son one man show 

Son fuel son king 

Son slip au chaud 

Rien qu'un p'tit flash 

Au five o'clock 

J'paie toujours cash 

Dans l'bondieu scop 

 

ET J'CAUSE FRANCAIS 

C'EST UN PLAISIR 

 

C'est ma starlett 

Ma very good 

Mon pick-galette 

Mon hollywood 

C'est ma baby 

Au tea for two 

C'est ma lady 

Au one two two 

J'suis son jockey 

Son steeple-chase 

J'sais la driver 

A la française 

Dans l'sleeping car 

After paillasse 

A son milk-bar 

J'me tape un glass 

 

ET J'CAUSE FRANCAIS 

C'EST UN PLAISIR 

 

C'est ma call girl 

Ma savourex 

Qu'effac' sa gueule 

A coups d'kleenex 

C'est ma lucky 

C'est ma pall mall 

Ma camel qui 

Fait ça pas mal 

Quand c'est OK 

On fait l'remake 

Quand c'est loupé 

On fait avec 

J'lui fais l'mohair 

Et la syntaxe 

Très rock in chair 

Je shoot relaxe 

 

ET J'CAUSE FRANCAIS 

C'EST UN PLAISIR 

 

C'est un' barmaid 

Qu'est ma darling 

Mais in the bed 

C'est du forcing 

C'est du pam pam 

A chaque coup d'gong 

C'est plus un' femme 

C'est un ping-pong 

Quand je suis out 

Elle m' sex appeal 

Et dans l'black out 

Je smash facile 

Sur son standing 

In extremis 

J'fais du pressing 

Au self service 

 

ET J'CAUSE FRANCAIS 

C'EST UN PLAISIR 

 

C'est mon amour 

Mon coqu'licot 

Mon p'tit bonjour 

Mon p'tit oiseau 

 

AND JE SPEAK FRENCH 

C'EST UN PLEASURE

 

 

 

 

T'ES ROCK, COCO ! (Léo Ferré)

 

Avec nos pieds chaussés de sang 

Avec nos mains clouées aux portes 

Et nos yeux qui n'ont que des dents 

Comme les têtes qui sont mortes 

Avec nos poumons de Camel 

Avec nos bouches-sparadrap 

Et nos femmes qu'on monte au ciel 

Dans nos ascenseurs-pyjamas 

 

t'es Rock, Coco ! t'es Rock ! 

 

Avec nos morales bâtardes 

Filles d'un Christ millésimé 

Et d'un almanach où s'attarde 

Notre millénaire attardé 

Et puis nos fauteuils désossés 

Portant nos viandes avec os 

Et la chanson des trépassés 

Des jours de gloire de nos boss 

 

t'es Rock, Coco ! t'es Rock ! 

 

Avec nos oreilles au mur 

Avec nos langues polyglottes 

Qui magnétophonisent sur 

Tous les tons et toutes les bottes 

Avec nos pelisses nylon 

Qui font s'attrister les panthères 

Dans les vitrines du Gabon 

Leur peau pressentant la rombière 

 

t'es Rock, Coco ! t'es Rock ! 

 

Avec nos journaux-pansements 

Qui sèchent les plaies prolétaires 

Et les cadavres de romans 

Que les Goncourt vermifugèrent 

Avec la société bidon 

Qui s'anonymise et prospère 

Et puis la rage au pantalon 

Qui fait des soldats pour la guerre 

 

t'es Rock, Coco ! t'es Rock ! 

 

Cela dit en vers de huit pieds 

A seule fin de prendre date 

Je lâche mon humanité 

ET JE M'EN VAIS A QUATRE PATTES

 

 

 



31/03/2022
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