On connait la musique...

On connait la musique...

Bien entendu

Pour jouer de la musique, il faut l'écouter. Ceci semble une évidence. De même que réaliser un dessin ou une peinture les yeux bandés, exécuter une pièce musicale sans écouter ce que l'on produit, c'est se priver du sens primordial nécessaire à la création, à la diffusion et à la réception de l'oeuvre.

Pourtant, plusieurs éléments entravent souvent cette indispensable écoute chez l'apprenti musicien.

Trop d'attention portée sur le jeu instrumental, sur les difficultés techniques, mobilisent l'esprit au détriment de l'écoute. L'appréhension d'un trait difficile à exécuter, le souci d'appliquer un doigté correct, un petit accroc, et l'on se déconnecte du flot émotionnel et temporel généré par la musique jouée. Le tempo devient hasardeux, la pulsation s'égare, le propos trébuche.

La lecture de la musique jouée provoque également le déficit d'écoute. L'esprit mobilisé par le déchiffrage à vue ne peut pleinement se concentrer sur l'écoute et la musicalité.

 

En jeu collectif, une écoute médiocre des interprètes démultiplie les conséquences fâcheuses : le batteur se met à l'envers, le soliste se perd dans la grille, le tempo fluctue, il y a confusion dans les structures et les reprises, etc... c'est le naufrage.

On objectera que les paramètres à maitriser pour jouer la musique, surtout en groupe, sont multiples et complexes, tant sur le plan physique qu'intellectuel, et qu'il est difficile pour l'apprenti instrumentiste ou chanteur de tout contrôler.

Cela est vrai. Mais il convient alors de hiérarchiser les forces que l'on mobilise. Il faut sans cesse garder à l'esprit que jouer une musique c'est tenter de produire de l'émotion, pour l'auditeur, pour soi-même, pour les autres musiciens avec qui l'on joue (1). Ceci est possible quel que soit son niveau. Quelques notes simples exécutées avec pertinence sont toujours préférables à une phrase musicale complexe, techniquement difficile mais sans musicalité.

Là encore, c'est l'attention portée à l'écoute qui guidera l'exécution, quitte à ne pas jouer ou simplifier certaines notes ou phrases mal maîtrisées. En groupe, écouter pleinement est donc la première vigilance à mobiliser, ensuite on jouera ce que l'on peut techniquement, ce que l'on sait saisir, ce que l'on sait entendre.

 

Pour finir, on ne s'affranchira pas non plus d'écouter sans jouer. Cette démarche préliminaire est tout aussi importante. A moins d'avoir à jouer une création inédite, la possibilité d'écouter différentes interprétations du morceau que l'on aborde permet de s'approprier le morceau. Cela permet d'abord de le mémoriser et ainsi de se débarrasser plus vite de son déchiffrage, opération qui mobilise l'esprit aux dépens de l'écoute. Cela favorise également une vision plus globale du morceau qui permet l'anticipation de la musique jouée lors de l'exécution.

Enfin, saisir l'esprit d'une pièce de musique par son écoute et sa mémorisation préalables autorise l'interprète à prendre des libertés avec le texte initial, à l'arranger et à improviser dessus en fonction de son potentiel technique, de sa culture, sans la trahir pour autant.

 

Lorsque Thélonious Monk arrivait en studio pour enregistrer, il ne donnait pas la partition des nouveaux morceaux à ses musiciens, il leur jouait et ceux-ci devaient les relever à l'oreille. Lorsque, devant la complexité de certains titres, l'un des musiciens lui demandait de lui fournir la partition ou du moins lui préciser tel ou tel accord inattendu ou ambigu, Monk lui répondait : « Je veux que tu entendes ma musique, pas que tu la lises » (2).

Bien entendre, c'est aussi comprendre.

 

 

  1. citons à ce propos le chef d'orchestre J.C. Casadesus : « L'orchestre est une manufacture d'émotions »

  2. cf. le livre « Monk » de L. de Wilde, ed. Folio

 



26/02/2018
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