On connait la musique...

On connait la musique...

Jouez-vous Apollinien ou Dionysiaque ?

Dans la mythologie grecque, aux origines, Zeus combat les forces du chaos et affronte leurs divinités (titans, géants, typhon...) pour imposer le cosmos, c'est à dire un univers ordonné, apaisé, stable, à l'opposé du chaos primitif, qui n'est que désordre, violence, instabilité.

Zeus triomphe finalement et installe son pouvoir cosmique dans l'Olympe. Mais les divinités du chaos ne sont pas totalement anéanties, elles sont contenues dans le tartare au plus profond de Gaïa, la terre. Leurs débordements sporadiques affectent désormais le monde des mortels. Ainsi Typhon, qui provoque tempêtes et orages dévastateurs. Ces petits écarts des forces du chaos restent mineurs aux yeux des dieux olympiens et surtout leur rendent l'univers plus distrayant.

Car le cosmos n'est supportable que s'il subsiste des assauts contenus du chaos. Sans cela, il ne se passe rien, tout est figé, c'est l'ennui, l'inaction. Il y a nécessité d'un subtil équilibre entre ordre et désordre, ce que Albert Jacquart résume si bien : «Le désordre est l'offensive de la mort, l'ordre est sa victoire».

 

Quel rapport avec la musique ? J'y viens, à travers deux des douze dieux qui, après la victoire sur les divinités du chaos, règnent désormais sur l'Olympe sous l'égide de Zeus : Apollon et Dyonisos.

 

Apollon est un Dieu cosmique, fidèle à son big boss Zeus. Il prône l'harmonie, la juste mesure des choses, la mise en retrait de l'égo. Comme Zeus et (presque tous) les Dieux Olympiens, il déteste l'hubris, c'est à dire la démesure et l'arrogance. Dieu de la musique, c'est aussi le Dieu de la médecine car elle vise à harmoniser les corps comme la musique harmonise les sons.

Son instrument est la Lyre. C'est un instrument accordé, il constitue donc un référentiel que l'on peut partager, favorisant ainsi la concorde. Possédant plusieurs cordes, la lyre peut jouer des accords, qui constituent les fondements de l'harmonie.

Avec son instrument à cordes, Apollon crée une musique accordée et harmonieuse... « lyrique ».

 

Dionysos est le dieu du vin, de la fête et de la sexualité débridée. Il est escorté par des femmes lubriques en transe, les Bacchantes, par des Satyres obscènes aux pieds de bouc jouant de l'aulos (sorte de hautbois), et par son inséparable compagnon Pan le joueur de flûte. Dans cette joyeuse et redoutable troupe, ce ne sont qu'excès et perversions. Contrairement à tous les autres dieux de l'Olympe, ce sont des personnages plutôt « chaotiques ».

La musique Dionysiaque, essentiellement jouée sur des instruments à vents, est rauque, sensuelle, sans harmonie, débridée, assourdissante.

 

Les instruments à cordes seraient donc créateurs d'une musique accordée et harmonieuse, tandis que les instruments à vents ne produiraient que des musiques rustiques, brutales ? Au quatuor à cordes la voix d'un cosmos ordonné et apaisé, à la fanfare l'expression vulgaire et violente du chaos ?

 

Conclusion hâtive et simpliste, ne prenez pas les grecs pour des crétins. De même que le cosmos serait « invivable » sans quelques débordements du chaos, les univers Apolliniens et Dionysiaques n'auraient de sens l'un sans l'autre. Ce sont deux opposés complémentaires et indissociables pour l'accomplissement de la musique.

La diversité des timbres instrumentaux, du plus rugueux (dionysiaque) au plus suave (apollinien), nous permet par combinaison orchestrale une infinité de couleurs musicales et une palette sonore très riche.

Et nous avons vu dans « cadence parfaite... à parfaire » que la musique occidentale s'articulait sur une succession de tensions (dionysiaques) et de résolutions (apolliniennes). L'accord tonal Maj7 stable et apaisé serait fade et ennuyeux sans son accord 7 de dominante instable et tendu qui l'introduit.

Quel que soit l'instrument joué, qu'il soit apollinien ou dionysiaque, l'important est d'exprimer des passions et de susciter des émotions. La musique évoquera tantôt le sexe, la colère, la frustration, tantôt la joie, le plaisir et la sérénité, tantôt l'amour, et le discours musical sera apollinien, doux et harmonieux, ou dionysiaque, bestial, agressif, ou bien combinera les deux univers. Peu importe, l'essentiel reste sa sincérité.

 

Les grecs avaient bien saisi la complémentarité des opposés. Les mythes Dionysiaque et Apollinien expriment avec génie l'indissociabilité des contraires et la connivence qui les lie entre eux.

Il est intéressant de constater qu'à des milliers de kilomètres de la Grèce, en Chine, quelques siècles avant la civilisation grecque antique, un certain Lao Tseu posait les fondements du taoïsme. Et l'un des concepts fondamentaux de cette philosophie est le jeu combinatoire de deux puissances opposées et complémentaires, le yin et le yang.

Dans le taoïsme comme dans la mythologie grecque, il n'y a pas de dualité conflictuelle simpliste entre le bien et le mal, la beauté et la laideur, le moral et l'immoral, le divin et le diabolique. Juste la constatation et l'acceptation de l'existence universelle de processus opposés, dont le dialogue est inhérent à la marche de l'univers.

 

 

 



24/02/2021
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