On connait la musique...

Le chef d'orchestre, arrogant, toise les musiciens, lève sa baguette et lance la première mesure. En face, rien ne se passe, les musiciens demeurent cois. Pas de tumulte, pas de paroles dans la fosse d'orchestre, simplement aucun son, aucune musique, un silence dévastateur.

Période électorale. Réunion publique. La salle est pleine de citoyens venus entendre un candidat. Celui-ci parle, s'agite, promet à tous, invective, flatte, annonce des chiffres abscons, assène vérités, contre-vérités. Son discours prend fin. Aucun applaudissement, aucun sifflet, aucun cri d'approbation ou de désaccord, aucun murmure, aucun bruissement, rien que le silence, un silence terrible.

Opposer le silence à un discours pernicieux ou à une injonction indésirable peut se révéler une arme très efficace.

Essayez, par exemple, lorsque l'on vous assène une basse sournoiserie, une consternante flagornerie, ou bien une imbécillité révoltante, de n'y répondre nullement, de ne prononcer absolument aucun mot. Votre interlocuteur se sentira probablement mal à l'aise. Dans un premier temps il risque de réitérer son discours, en se répétant, en tournant en rond, il devient alors plutôt pathétique, continuez votre stratégie, elle n'en est que plus délicieuse. Puis, probablement, il lâchera prise, ses propos deviendront de plus en plus confus ou bien tragiquement obstinés et exprimés dans une mélasse semi articulée, semi grommelée, ponctuée d'interjections sommaires traduisant une capitulation inavouée. Je viens de vous décrire le scénario idéal, bien sûr, d'autres réactions sont à prévoir. Mais, je vous rassure, rares sont les réactions violentes – s'en méfier toutefois avec les individus les plus crétins.

Répondre par le silence, c'est présenter un miroir d'eau inerte dans lequel l'autre se verra nu. Il s'y noiera ou bien il y verra sa misère morale ou intellectuelle. Le silence renvoie l'autre à sa solitude. Ce qui lui est, la plupart du temps, très inconfortable car il fuit cette solitude, il ne la supporte pas. Le malheureux !

En relation immédiate et constante avec l'humanité entière, chacun offre désormais son intimité à tous via ses multiples « espaces » et « comptes » personnels numériques. Et la discussion de bistrot, autrefois cantonnée au zinc, assourdit maintenant la planète entière d'une gigantesque rumeur inintelligible.

Face à l'exhibition et au bruit, solitude et silence sont devenus les luxes modernes.

Jean de La Bruyere nous avait avertis : « Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls »

Alors, opposer le silence et prêcher la solitude seraient-elles les armes ultimes face à la folie collective ?

...

Voilà, j'ai fini mon propos....(silence) Vous ne dites rien ?...(silence) Hein ?...(silence) Non, attendez !... (silence) Mais... partez pas...(silence) Non, parce que...(silence) Eh !... Euh...(SILENCE)