On connait la musique...

On connait la musique...

Espace, espace de sons !

Permettez-moi tout d'abord, en cette rentrée, de vous offrir une carte postale de vacances, une carte postale sonore : https://static.blog4ever.com/2018/02/842553/MontpascalCartePostale---31_08_2019-22.43.mp3?rev=1567339063

Ceci n'est pas sans rapport avec ce qui suit...

 

Nous savons, grâce à Euclide, que tout objet peut être défini et visualisé dans l'espace au moyen de trois dimensions. Rappelez-vous vos cours de physique : 3 axes (x, y, z) dont les coordonnées permettent de situer et placer des points, des lignes, des volumes dans l'espace.

Einstein nous a ensuite montré qu'il fallait, pour modéliser l'univers, ajouter une 4ème dimension : le temps. L'espace-temps ainsi défini permet de situer toute présence, tout événement, du monde qui nous entoure.

 

 

Il est intéressant de constater que l'espace sonore, que ce soit une musique ou que ce soient des bruits ambiants, est décrit avec des termes identiques à ceux que l'on applique à l'espace visuel : on évoque un son profond ou clair, un timbre obscur ou bien lumineux, une musique contrastée, oppressante...etc.

 

De même qu'un objet dans l'espace peut être défini par ses 3 dimensions (largeur, hauteur, profondeur, nos fameux x, y, z) et son rapport au temps, un son, et plus particulièrement une note de musique, est défini lui aussi par 3 dimensions (hauteur, volume, timbre) et sa durée.

Il est tentant d'oser établir le parallèle (approximatif, je vous l'accorde) suivant:

 

 

Espace - temps

Espace musical

Dimension 1

Axe des x : largeur

Volume sonore : fort/faible

Dimension 2

Axe des y : hauteur

Hauteur : grave / aigu

Dimension 3

Axe des z : profondeur

Timbre : couleur

Dimension 4

Temps (mouvements...)

Temps ( durées...)

 

L'espace sonore, musical, semble construit selon des paramètres comparables à ceux de l'espace-temps.

Ceci n'est pas surprenant si l'on considère les sens qui nous permettent de percevoir ces deux espaces.

Nos deux yeux permettent une vision binoculaire des reliefs, des profondeurs. Nos deux oreilles permettent l'audition binaurale stéréophonique avec localisation des sons. Nous avons ainsi la perception d'un paysage sonore en relief tout comme d'un paysage visuel.(1)

 

 

Cette « vision » sonore est le cœur de métier des studios d'enregistrements et de production musicale. En jouant sur le panoramique (placement stéréophonique), la réverbération, l'écho et bien d'autres paramètres, on peut spatialiser les différentes sources instrumentales et vocales d'une musique, et ainsi organiser le paysage sonore comme un espace tri-dimensionnel.

Des moyens de diffusion musicale sans grande qualité ni relief comme les phonogrammes du début du XXème siècle et les petits postes radio à transistors de nos grand-parents, à restitution monophonique, nous sommes passés, via le développement technologique électronique puis numérique, à des médias offrant des possibilités sonores hi fi avec des paramètres contrôlables très étendus permettant des possibilités dimensionnelles impressionnantes.La spatialisation sonore est devenue un élément incontournable des arts du spectacle, du cinéma, du multimédia.

 

 

Cette problématique spatiale du son n'a pas échappé aux compositeurs. Depuis les premières œuvres orchestrales du moyen-âge, la question de la disposition des musiciens dans l'orchestre est un paramètre fondamental. La disposition des cuivres, des violons, des percussions, etc., est pensée pour optimiser le relief sonore. Au XXème siècle, des compositeurs remettront en cause les dispositions spatiales usuelles pour les besoins de leurs créations. Ainsi dans  Repons (1981-1988), Pierre Boulezutilisant la technologie de pointe de l'Ircam, allie un dispositif électroacoustique de 24 musiciens, 6 solistes ainsi que six haut-parleurs permettant d’amplifier, de spatialiser les sons et de modifier ceux des solistes. L'ensemble orchestral est au milieu du public tandis que les solistes entourent le public : https://youtu.be/kwt3ERYFQZs

 

 

L'espace, qu'il soit visuel ou sonore, existe-t-il réellement comme un champ infini dans lequel les objets solides ou sonores s'insèrent, ou bien ne nait-il qu'en présence de ces objets ? Bref, qui de la poule ou de l'oeuf... ?

Le peintre et sculpteur Georges Braque, féru de musique, ami d'Erik Satie, affirme : « Le vase donne une forme au vide et la musique au silence. »

Ainsi, selon lui, grâce à ses caractéristiques de présence révélées par ses 4 dimensions, un objet définit aussi le vide qui l'entoure. Sans la présence d'un objet, l'espace n'a plus de sens, il n'existe plus. Et l'on a vu (cf. l'article "Les maîtres du temps" ) que, sur le plan de la dimension temporelle, sans événement, le temps est indéfinissable, il n'existe pas si aucun changement, aucun mouvement ne permet de le faire apparaître.

Donc s'il n'y a ni présence ni événement, l'espace-temps ne peut être révélé, il est « sans objet », il n'existe pas, … néant.

De même, dans le silence absolu et continu, l'espace sonore n'existe pas : aucun son pour trahir quelconque perspective auditive, quelconque sensation dimensionnelle, quelconque ébauche de paysage imaginaire,... rien .

 

 

Faire de la musique, ce n'est donc pas simplement émettre une suite de sons organisés, c'est faire apparaître un espace, un univers, qui possède des caractéristiques et des propriétés augmentées, sensorielles et émotionnelles.

Tiens, ça ne vous rappelle rien, tout ça ? Construire la musique selon le principe de propriété émergente (cf. l'article "Dieu est-il musicien ?"). Créer de l'espace et du temps en se prenant pour un Dieu (cf. les articles "Jouer comme un Dieu" et "Les maitres du temps")... Je commence à tourner en rond, je me répète, il va peut-être falloir que je songe à clore ce blog et faire silence.

« De tous ceux qui n'ont (plus) rien à dire, les plus agréables sont ceux qui le font en silence. » (Chamfort). Ok, je vais méditer sur cette phrase, promis.

 

 

(1) Convaincu de l'aspect fusionnel de nos perceptions sensorielles, John Cage composa « Imaginary landscapes » et « In a landscape », affirmant ainsi les correspondances indéniables entre l'espace musical et l'espace visuel. https://youtu.be/PSmXAG2mYY4

 

 



31/08/2019
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