On connait la musique...

On connait la musique...

Le(s) son(s) du silence

« And no one dared disturb the sound of silence »

Simon and Garfunkel « The sound of silence » https://youtu.be/4zLfCnGVeL4

 

 

Dans l'attente, la salle de concert bruisse de mille bruits : les retardataires s'installent, on converse, on s'interpelle, quelques portes claquent au loin, les sièges grincent, on froisse les pages du programme, on tousse... Enfin, les lumières se tamisent, l'artiste apparaît, accueilli par une salve polie d'applaudissements. Et le public fait silence, ce silence préalable à une écoute musicale optimale, ce silence qui est invitation à la musique, qui est désir de musique. Alors l'espace mis en tension par cette soudaine absence de bruits semble se refermer sur la scène où désormais le piano et son officiant magnétisent toute l'attention des auditeurs. Le pianiste s'installe. Il ferme le couvercle de son clavier. Il ne le touchera pas pendant 4 minutes 33 secondes. 4'33, c'est le titre de cette pièce en trois mouvements du compositeur John Cage, composée de silence soigneusement minuté. https://youtu.be/rDgHUj8sJaQ 

 

Le silence est comme la toile vierge du peintre, comme l'espace vide du sculpteur ou de l'architecte. Sans silence, pas de production sonore tangible, pas d'expression musicale intelligible.

S'il convient donc de faire silence pour laisser pleinement s'épanouir la musique, cet effacement des sons non désirés par l'auditeur reste relatif. Entre l'écoute solitaire de son enregistrement préféré dans son salon bien insonorisé et l'écoute du concert d'un groupe rock dans un stade plein à craquer d'un public tout ébaudi, il y a une large palette de pseudo-silences. L'auditeur assistant à la représentation de 4'33 aura tôt fait de constater que le silence produit par l'absence de jeu instrumental se peuple, à mesure que l'écoute s'affine au fil de l'exécution de l'oeuvre, de nombreux sons : échos de l'extérieur (grondement de voitures dans la rue, crépitement de la pluie sur le toit, sifflement du vent...), froissements de vêtements, raclements de gorge, chuintements de canalisations, craquements de sièges, souffles de respirations...

 

Le silence absolu existe-t-il ?

Il est intéressant à ce propos d'effectuer un parallèle avec le monde des couleurs et de la lumière, sons et lumière se propageant dans l'espace de manière similaire, comme des ondes (1).

La lumière dite « blanche » est composée de toutes les fréquences colorées du spectre lumineux. Son aspect incolore résulte donc paradoxalement de l'addition de toutes les couleurs.

De la même façon, on désigne par bruit blanc un son constitué par toutes les fréquences sonores audibles. Tout le monde connait ce bruit blanc, du moins certains bruits qui s'en approchent au mieux : le souffle des ventilations dans les immeubles, la rumeur de la ville, les vibrations ténues d'appareils électroménagers ou d'éclairages au néon. L'addition des différentes fréquences sonores ne produit donc pas le silence, un non-son, contrairement à l'addition des couleurs qui produit l'incolore, un non-coloré.

Cependant, ce bruit blanc est souvent ignoré par notre cerveau, bien qu'il soit perceptible par notre oreille. Il fait partie d'un ensemble de « bruits de fond » que nous écartons inconsciemment de notre écoute.

« L’interprétation des termes de bruit et de son vient souvent de notre intention d’écouter ou d’entendre. » affirme le compositeur Bernard Parmegiani. Cette intention serait donc aussi, de manière inconsciente, déterminante pour interpréter le silence. Un silence bien subjectif, donc.

 

Notre environnement est constamment sonore, et le silence que l'on croit parfois trouver n'est que relatif et subjectif.

Tentons de faire taire cet environnement et isolons-nous artificiellement dans un caisson parfaitement clos et insonorisé. Une telle expérience nous fait alors entendre tous les bruits internes de notre organisme : le battement de notre cœur, le souffle de notre respiration, la pulsation du sang dans nos veines, les spasmes de nos intestins... un concert organique intrinsèque de la vie.

Atteindre le silence parfait dans la mort serait une conclusion un peu rapide et trop facile...

 

Alors, où trouver naturellement le silence absolu ?

Il se cacherait peut-être dans l'espace, là où le vide intersidéral ne peut transmettre les vibrations à notre oreille, là où événements et mouvements sont inexistants ou extrêmement rares, là où semble-t-il aucune vie telle que nous la connaissons n'existe.

« Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie » : nous revenons une fois de plus vers Blaise Pascal (cf. précédent article « Dieu est-il musicien ? ») qui affirme le caractère éternellement silencieux du vertigineux vide cosmique constituant l'essentiel de l'univers.

Nous ne pourrons jamais, sauf à devenir d'improbables mutants, évoluer naturellement dans ces espaces hostiles sans de lourds équipements qui nous empêchent de goûter à ce silence parfait. Nous ne pouvons qu'en imaginer la substance. Effrayante ? Apaisante ? Gageons qu'elle soit musicale. C'est probablement le pari que fait également le compositeur Toru Takemitsu en déclarant « Je voudrais atteindre un son aussi intense que le silence... car faire vivre le vide du silence, c’est faire vivre l’infinité des sons. »

 

 

 

PS : on a retrouvé l'éternité https://youtu.be/0nWgZ6Dhbmc?t=30s et elle est bien silencieuse https://youtu.be/bAiVV4hOg7s?t=2m13s ! (Rimbaud / Godard)

 

 

(1) pour la lumière, ce n'est pas si simple, la physique nous apprend qu'elle se comporterait à la fois comme une onde et une particule.

 

 



20/03/2018
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