On connait la musique...

On connait la musique...

Apollinien / Dionysiaque (2)

S'il est une pièce musicale qui illustre admirablement le précédent article, c'est, je crois, le Credo du compositeur estonien Arvo Pärt : https://youtu.be/WvZqNQ71l0k

Personnellement, cette pièce fait partie du « top ten » indispensable que j'emporterais sur une ile déserte. Son écoute me bouleverse toujours autant et me provoque invariablement frissons, larmes, vertige...

C'est ce chavirement des sens incontrôlable et mystérieux à l'écoute d'une musique qui décide d'une vocation musicale. Dès lors vous n'avez de cesse de retrouver et recréer la rare alchimie qui provoque ce trouble quasi mystique. Cette quête obsessionnelle vous fera endurer maintes frustrations, moultes déceptions... et vous voilà devenu un musicien, un artiste torturé, insatisfait, en proie au doute perpétuel, dépressif chronique, égocentrique et pénible pour son entourage. La crise covid ayant provoqué chez certains une introspection et un désir de réorientation de vie, vous voilà prévenus au cas où vous envisageriez une reconversion artistique. Bon courage, les artistes !

 

 

Le déroulement de cette pièce musicale offre un récit assez limpide à l'aune de la cosmogonie grecque antique.

 

L'univers harmonieux du cosmos est exposé dans un premier temps au travers de l'emprunt par Arvo Pärt du prélude n°1 du « clavier bien tempéré » de J.S. Bach https://youtu.be/gVah1cr3pU0. Dans ce recueil de préludes et fugues dans toutes les tonalités, Bach a posé définitivement les fondements théoriques et esthétiques de l'harmonie qui fait loi dans nos musiques européennes. C'est donc une musique Apollinienne par excellence car elle est calibrée, accordée et « harmonieuse ».

 

Cette musique Apollinienne, calme, apaisée,ordonnée, subit ensuite l'assaut des forces du chaos. Pour matérialiser cette résurgence du désordre et de la violence, Arvo Pärt utilise des dynamiques heurtées de rythmes et de volumes, ainsi qu'une écriture atonale. La musique atonale, avec ses deux courants, le dodécaphonisme et le sérialisme, revendique l'abolition de la tonalité. Elle rejette les rapports hiérarchiques entre notes impliqués par la tonalité : fondamentale, dominante, sous-dominante... Le dodécaphonisme ne permet aucune valorisation d'une note par rapport à l'autre, le sérialisme va plus loin en appliquant ce procédé également aux formules rythmiques. La voilà notre musique typiquement Dionysiaque : sans harmonie, désordonnée, dissonante, chaotique !

 

La musique Apollinienne et la musique Dionysiaque vont dialoguer, s'opposer, s'affronter, et dans une troisième partie on assistera au retour à l'harmonie cosmique originelle. Ouf, les forces du chaos sont retournées sous terre, on a eu chaud ! Remercions-les toutefois car sans elles nous n'aurions pas eu cette œuvre remarquable et ces belles émotions.

 

 

Ce qui précède n'est qu'une lecture personnelle. Arvo Pärt a en réalité souhaité exprimer dans cette œuvre sa profession de foi chrétienne - cf. les paroles du choeur :

« Je crois en Jésus-Christ

Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil et dent pour dent.

Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. »

Pour Arvo Pärt, le chaos est le monde violent et agressif de l'ancien testament, avec son précepte « Oeil pour œil, dent pour dent ». C'est le volet Dionysiaque.

Cette loi du Talion est remise en cause par Jésus dans le nouveau testament : « Je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre. » Voilà pour le chrétien l'antidote aux désordres et aux violences, répondre au mal par le bien, la solution pour un monde en paix, harmonieux : c'est le volet Apollinien.

Bon, entre nous, tendre l'autre joue à celui qui vous a frappé, facile à dire... Il va falloir endurer bien des frustrations, des renoncements, des doutes, à celui qui s'engage sur ce chemin religieux. La quête de la foi - bon courage, les chrétiens ! - , comme la quête artistique que j'évoquais plus haut, sont des entreprises bien ardues et éprouvantes. Auraient-elles justement des visées universelles communes, un « même port » à rejoindre, comme l'aurait suggéré Brel ?

« Adieu Curé je t’aimais bien, tu sais

On n’était pas du même bord

On n’était pas du même chemin

Mais on cherchait le même port »

Jacques Brel « Le moribond »

https://youtu.be/Tvrtxl4jCO4

 

 

Le Credo d'Arvo Pärt a été créé en novembre 68 en Estonie, satellite à l'époque de l'Union Soviétique. Cette pièce musicale a été immédiatement interdite par les autorités communistes en raison de son caractère religieux et Arvo Pärt a été inquiété, accusé de provocation politique. Les inquisiteurs et les ayatollahs ne sont pas l'apanage des religions.

 

 

 

 



07/03/2021
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