On connait la musique...

Dans mon précédent article, « Dieu est-il musicien ? », je constatais la similitude entre la construction de l'univers et la facture musicale, toutes deux élaborées selon l'idée de propriété émergente. Dieu aurait-il donc créé le monde ainsi parce qu'il était musicien ?

Prenons les choses en sens inverse : puisque l'on fait de la musique selon une logique identique à celle de la création du Grand Oeuvre, la tentation, pour un musicien, de se prendre pour un Dieu peut être entendue et ne relève pas d'un simple délire mythomaniaque si banal chez les artistes.

Notez qu'après une telle affirmation blasphématoire je risque de faire l'objet d'une fatale Fatwa. Il n'y a pas si longtemps, l'inquisition m'aurait fait subir la question avant de me livrer aux flammes du bûcher. Au lieu, donc, de brocarder prématurément mon propos à suivre que vous pressentez au mieux bien polémique, au pire abracadabrantesque, accordez-moi un certain courage et continuez la lecture, je vous prie.

La musique s'inscrit dans la quatrième dimension : le temps. C'est le support de la musique pour qui la produit ou qui l'écoute, une fenêtre sans cesse en mouvement qui nous laisse apparaitre successivement des sons choisis et organisés. Il faut le facteur temps pour développer l'oeuvre musicale. Sans lui, pas de musique possible.

En jouant sur certains outils dont il dispose, tels le tempo, les rythmes, les silences, etc., le musicien a le pouvoir de modifier la perception de ce temps. En quelque sorte, il peut lui commander. Ainsi, un tempo rapide avec un rythme répétitif marqué procurera une sensation d'accélération du temps alors qu'un tempo lent et peu défini donnera l'illusion d'un temps qui se prélasse, qui prend son temps !

Parallèlement à ce pouvoir d'influer sur le phénomène temporel, le musicien doit gouverner tous les paramètres des sons (hauteur, intensité, timbre...) qu'il convoque pour jouer. La palette sonore choisie peut être celle d'un orchestre symphonique ou bien celle d'un groupe de heavy-death-gothic-apocalyptic-métal.

En organisant cette matière sonore, il crée un espace unique qui est la projection de sa pensée, de sa volonté. Une mélodie grave, une tonalité mineure : l'espace s'assombrit, l'atmosphère devient pesante. Une mélodie accorte, des timbres brillants, une tonalité majeure, et c'est la lumière d'un matin estival qui envahit votre salon.

Vous me voyez venir : si le musicien commande au temps, s'il organise de la matière et s'il crée de l'espace... il réalise un véritable univers, il est un Dieu !

Ah, ces musiciens ! A peine ont-ils brouillonné d'ahan quelques ritournelles qu'ils se prennent pour des Dieux !

Ne cédons pas à la tentation de les vouer trop rapidement aux gémonies : ils ne sont pas entièrement responsables de leur outrecuidance.

Un musicien talentueux, ou beau, ou provocateur, ou chanceux, ou pistonné, ou à la mode, ou matois, peut devenir célèbre. Ce statut suscite alors des foules d'admirateurs qui déifient l'artiste. Les concerts prennent l'aspect de grandes messes où se presse le public ainsi que les zélotes d'une religion païenne vouée au culte de la star. La parole du musicien-idole subit l'exégèse de ses fans-disciples, la musique et ses produits dérivés sont objets d'adoration, tel album ou tel concert devient « culte ».

Ce phénomène échappe généralement aux artistes et, pour les plus lucides et les plus humbles d'entre eux, les consterne. John Lennon en avait souffert en son temps et avait déclaré avec amertume en parlant des Beatles : « Aujourd'hui, nous sommes plus populaires que Jésus ».

A la même époque, suite à des graffitis « Clapton is God » apparus sur les murs des couloirs du métro Londonien, la presse musicale et les aficionados du rock adoptaient sans états d'âme le surnom « God » pour désigner le guitariste Eric Clapton.