On connait la musique...

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Les maîtres du temps

Certains physiciens pensent que le temps n'existe pas par lui-même, qu'il ne prend corps que si se produisent des événements. Il ne serait qu'un paramètre virtuel émergeant d'une succession de faits. Dans un sytème dans lequel il ne se passerait rien, aucun mouvement, aucun changement, aucune vie, la notion de temps n'aurait plus ni sens ni existence. Ce sont donc essentiellement les événements qui génèrent le temps.

  

Lorsqu'on joue de la musique, on produit une suite d'événements, une succession de faits sonores. On génère donc du temps. Le musicien crée du temps.

La musique ne s'inscrit pas dans le temps, c'est la musique qui construit le temps. Cela confére un pouvoir et une responsabilité au musicien dont il doit avoir pleinement conscience pour composer et jouer.

 

Le temps construit par la production musicale impose à l'auditeur un diktat absolu : l'écoute d'une musique est indissociablement liée à la durée temporelle qu'elle génère.

Un bon musicien doit rendre ce temps d'écoute imposé aussi intéressant que possible et faire oublier cette aliénation chronologique. Erik Satie rappelait souvent  que « L'artiste n'a pas le droit de disposer inutilement du temps de l'auditeur ».

 

La perception du temps musical est altérée par différents facteurs.

Le rythme d'une musique procure des sensations de vitesse, d'accélérations, de ralentissements qui influent sur le temps produit. Pierre Boulez parle de « temps lisse «  pour une musique amorphe, de « temps strié » pour une musique pulsée et affirme, par l'utilisation de l'un ou l'autre de ces procédés, pouvoir agir sur la densité temporelle (1).

L'articulation des événements influe également sur notre perception temporelle. Le discours musical, selon la façon dont il est mené, va produire une situation d'attente, d'impatience, de sidération ou d'ennui qui va altérer le temps enduré. L'attente convenue d'un refrain, la répétition d'une formule rythmique entêtante, ou bien un changement de rythme inattendu, une modulation harmonique audacieuse, vont produire des temps vécus différemment.

Au delà de créer du temps, le musicien va donc également pouvoir commander au temps. Un bon musicien est un maître du temps.

 

Merveilleux pouvoir que cette possibilité offerte au musicien de jouer avec la perception temporelle de son auditeur ! Un exercice de pouvoir pourtant de plus en plus difficile à exercer.

La disponibilité temporelle imposée par toute production musicale à son auditeur est malmenée dans notre monde actuel. Cela compromet la bonne réceptivité émotionnelle et critique de la musique et dégrade notre rapport au temps. Quand la profusion et l'immédiateté de l'offre musicale s'offre à tous en connexion permanente, l'écoute n'est plus que zapping chronique. Etre mobilisé plus d'une minute par un discours musical devient dès lors insupportable et apparaît comme une perte de temps. La tentation inflationniste de rater quelque chose, la frustration de ne pouvoir tout écouter, d'avoir à répondre à tant d'autres sollicitations, condamnent à une consommation musicale compulsive superficielle et de manière plus générale à une multiplication désordonnée de nos agissements, à l'accélération de nos comportements, à un accroissement incontrôlable d'événements, donc à une surproduction de temps rapide, accéléré. Et l'on coure ainsi plus vite vers sa mort. Stoooop ! C'est comment qu'on freine ?https://youtu.be/thFaQ2-lKU8

 

La pratique musicale peut nous aider à renouer avec une juste perception du temps. Elle permet du moins d'en explorer la plasticité et la relativité.

Selon l'écrivain Pascal Quignard (2), l'objet de la musique est d'endurer le délai, de construire du temps non frustrant, d'en éprouver la consistance. Et ainsi de rendre désirable le temps musical.

Le temps sursoit à notre mort. Rien ne sert de vouloir le remplir compulsivement, ce ne ferait que l'accélérer, le rendre haïssable et nous mener plus vite à l'échéance. Faisons plutôt place au temps musical, un temps acceptable, maîtrisé et désiré.

« Je chante pour passer le temps 

Petit qu'il me reste de vivre ... »

(Aragon) https://youtu.be/vcxGQiMgGS0

 

 

 

(1) « Musique et temps », collectif, Ed Cité de la Musique

(2) Pascal Quignard : « La haine de la musique «  Folio 3008, « La leçon de musique «  Folio 3767.

 



04/05/2019
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