On connait la musique...

On connait la musique...

Réflexivité de la diagnose sensorielle et sérendipité induite (dirait le cuistre).

« On peut voir celui qui regarde, mais on ne peut pas entendre celui qui écoute »

Marcel Duchamp

 

Je peux voir dans le regard de l'autre l'objet de son attention visuelle, je n'ai qu'à suivre la direction de son regard. Je peux aussi voir la façon dont il regarde : son regard peut se montrer sournois, ou bien passionné, ou empli de désir, de crainte, de haine... Je peux aussi déceler sa carence d'attention visuelle à la vue de son regard absent ou plus simplement de ses paupières baissées.

 

La communication visuelle offre une grande richesse d'interactions émotionnelles entre nous. C'est un atout essentiel dans tout art faisant appel à la vue. L'acteur, le danseur peut voir dans le regard de son partenaire ou du public une multitude d'informations essentielles. Le cinéaste, le sculpteur ou le peintre, s'il se mêle au public de la salle de cinéma ou du musée, pourra voir les regardeurs de son œuvre et la qualité de leur regard.

 

Les oreilles n'ont pas de paupières, on ne peut pas se soustraire à entendre. Mais l'écoute, elle, est contrôlable. Elle revêt aussi un caractère intentionnel, intime et secret : on ne peut pas savoir si j'écoute et ce que je sélectionne d'écouter. Je peux sembler attentif au propos de mon interlocuteur alors que mon écoute se porte sur la discussion voisine. Qui sait, à la diffusion d'une musique, si j'écoute plus particulièrement la ligne de basse plutôt que les inflexions du chanteur ou le timbre particulier de la caisse claire du batteur ?

 

C'est pourquoi lorsque je parle à quelqu'un ou que je lui joue de la musique, aucun signal décelable par mon ouïe ne vient m'informer sur la qualité, et même sur la réalité, de l'écoute qu'il me porte. J'ai beau tendre l'oreille, aucun retour ne me parvient, je ne peux pas entendre son écoute. Là, point de diagnose sensorielle réflexive dirait le cuistre.

 

Cela est évidemment problématique pour le musicien. Lorsque que je joue de la musique, l'ouÏe est le sens que je mobilise à 100% pour produire, construire, évaluer mon propos. Mais je n'ai pas la possibilité de comparer avec ce même sens la perception que j'ai de mon discours avec celle qu'a celui qui la reçoit. Le public a-t-il écouté la nuance exprimée dans tel passage de mon interprétation, a-t-il plutôt remarqué le timbre particulier de la guitare que j'utilise, son attention a-t-elle été relâchée lors de cette improvisation un peu trop longue ? Comme l'on aimerait être dans la tête de l'auditeur pour connaître la teneur de son écoute !

 

Problématique avec le public, mais aussi avec les partenaires de jeu. Le batteur écoute-t-il la formule rythmique vers laquelle je souhaite l'emmener dialoguer, le soliste écoute-t-il l'altération que je lui suggère sur tel accord ? Si les musiciens d'un groupe pouvaient s'entendre mutuellement écouter la musique qu'ils jouent, leur réactivité, leur communion, leur complicité s'en trouveraient incontestablement magnifiées.

 

Je ne peux pas entendre l'autre écouter ma musique. Je peux toutefois deviner, percevoir, ressentir son écoute à travers mes autres sens. L'attitude, le regard, les mouvements, la posture, du public ou du musicien partenaire m'informent fort heureusement sur son écoute. J'ai souligné dans un précédent article l'importance du regard et des gestuelles dans le jeu en groupe.

 

La façon dont la communion musicale s'établit parfois entre les musiciens d'un groupe nous autorise cependant à nuancer le propos de Marcel Duchamp.

De part ses intentions, ses nuances, ses choix de sonorité et de phrasé, je peux entendre dans le discours musical de mon partenaire de jeu, la qualité de l'écoute qu'il porte à mon propre discours. Je peux finalement l'entendre m'écouter au travers de la qualité du dialogue musical qui s'instaure entre nous.

Privilège des bons musiciens ? Surement.

 

Quant au public, je peux aussi entendre son écoute, elle se traduit dans la qualité du silence qui précède ou accompagne une prestation musicale. Tout musicien rompu à l'exercice de la scène sait entendre dans ce silence (relatif et complexe, bien entendu, cf. mes précédents articles) la tension, la vibration, la densité, qui révèlera une écoute de bon ou mauvais aloi.

 

Marcel Duchamp nous invite à réfléchir sur les interactions sensorielles de la vue et de l'ouïe, phénomènes essentiels dans la création et la représentation artistique.

Qu'en est-il des autres sens ?

 

L'olfaction. Certes, il y a des personnes que l'on ne peut pas sentir, mais peut-on sentir l'autre sentir ? J'en doute.

 

Le toucher. Je peux sentir l'autre me toucher, une caresse ou une gifle est un dialogue sensoriel cheminant par le même sens.

 

Mais le sens le plus intensément réflexif est probablement le goût.

On pourrait donc goûter l'autre goûter ? Pure sornette, vaine calembredaine, me direz-vous.

Vous n'avez peut-être jamais embrassé un être aimé et désiré ? Oui, le baiser, le « french kiss »: je te goûte me goûter et inversement ! Parfait exemple de dialogue mono-sensoriel déclencheur d'émotions fortes, un art absolu, donc.

 

Concluons là cet article avec cette sérendipité (dirait le cuistre) : comment Marcel Duchamp nous a conduit aux singularités sensorielles et artistiques du baiser.

 

Je vous laisse, c'est l'heure de mon p'tit blanc... ou peut-être un petite camomille aujourd'hui.

 

 



01/10/2018
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