On connait la musique...

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Le silence des oiseaux

« 4H30

La lessive cérébrale prend fin.

Quelques toxines psychiques résiduelles

Alimentent encore de légers malaises charnels.

Les morts veillent sur la maison silencieuse.

Indifférent à leurs tourments,

Le chat règne sur ces instants

Où présent agité et futur immobile

Se confondent et s’annulent.

 

Au dehors, une légère trille solitaire

Interroge l’obscurité vieillissante.

Puis d’autres chants, brefs, timides,

Ou bien péremptoires, glorieux :

Les oiseaux jouent le prélude obstiné du quotidien.

 

Derrière les volets, la cour blanchit,

Annonçant la plongée diurne parmi nos semblables,

Confrontant nos vanités,

Construction douloureuse

De nos ouvrages éphémères.

 

Puis, reviendra le sommeil

Et le cumul journalier

Des frustrations,

Culpabilités,

Inquiétudes,

Peurs...

A classer,

Épurer,

Recycler,

Analyser,

Disséquer...

 

Les jours où les servitudes

Que nous nous imposons

Se font moins pressantes

Nous pouvons goûter

Un second sommeil

Libre,

Animal,

Stupéfiant. »

 

J'ai écrit ce poème il y a 7 ans (1). J'habite en périphérie Lyonnaise, dans une zone péri-urbaine où les espaces verts et agricoles côtoient des habitats pavillonnaires et des petites agglomérations.

Il y a 7 ans, en 2011, l'aube était donc accompagnée d'un concert de chants d'oiseaux.

Cela nous réveillait parfois pour peu que l'on laissait la fenêtre ouverte.

 

Cet été, plusieurs fois éveillé à « l'heure ou blanchit la campagne », j'ai constaté que seul un silence obstiné saluait les premières lueurs. Plus un seul gazouillis, plus le moindre sifflement, pas de trille, pas de trémolo, aucun murmure, aucun bruissement. Le prélude au jour quotidien n'est plus. Il n'est plus que silence.

 

Le silence est une composante essentielle du discours musical (cf. mon précédent article « Jouer le silence »). Il procure à l'auditeur des sensations d'attente, de désir, de respiration, de résonance, indispensables à l'impact émotionnel de la musique.

Ce silence de l'aube est tout autre.

D'abord parce qu'il traduit l'absence et non l'attente. Les oiseaux ne sont pas en attente de chanter, ils ne sont simplement plus là.

Ce silence des oiseaux n'est pas comparable au désir procuré par la spéculation de la musique à venir lors d'une respiration musicale : les chants des oiseaux accompagnant naturellement l'aube, leur absence est pressentie comme définitive et traduit un anachronisme inquiètant, un dysfonctionnement contre-nature.

Alors la charge émotionnelle de ce silence aborde un registre terrifiant.

 

« Maintes fois de la peur je sens passer le vent.

En haut, en bas, partout, la profondeur, la grève,

Le silence, l’espace affreux et captivant… »

(Charles Beaudelaire)

 

Ce silence des oiseaux fait peur.

Peur de l'absence, peur de l'anormalité, peur de l'irréversibilité... En résumé : peur de la mort.

 

Ce matin en visitant mes massifs de fleurs, j'ai repensé également au bourdonnement intense qui émanait du halo d'insectes affairés autour d'elles... autrefois. Et hier soir, en me promenant dans les champs alentour, je cherchais à me souvenir des stridulations têtues des criquets, grillons et sauterelles en mal d'amour, que j'entendais... avant.

 

La nature chante et nous parle, mais « il s'agit de pencher le cœur plus que l'oreille » nous dit Supervielle. Cependant, nous faisons tant de bruit, une telle cacophonie de vanités, d'égoïsmes, de complaisances, de lâchetés, de cupidité, d'insatiabilité ! Et, le cœur et les tympans crevés, nous paradons en prédateurs suprêmes dans un monde que nous transformons peu à peu en notre propre cercueil.

 

 

 

(1)  https://www.abebooks.fr/servlet/BookDetailsPL?bi=20506008870&searchurl=sortby%3D20%26an%3Dbertrand%2Bfrederic&cm_sp=snippet-_-srp1-_-image2

 



29/08/2018
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